Mathieu Kassovitz : "En ce moment, j’installe Mac OS sur des PC"Quand il ne tourne pas, Mathieu passe son temps à améliorer ses Mac et à hacker des iPhone.
Mathieu Kassovitz est un homme de passions. Celle du cinéma va de pair avec celle qu’il a pour les technologies.
De quand date ta passion pour les technologies ?
Mathieu Kassovitz - Depuis que je suis môme, j’aime la techno et les gadgets. C’est la science-fiction et le design qui m’ont donné cette passion. Quand j’avais 9 ou 10 ans, les gosses de mon âge rêvaient de s’acheter un Sinclair ZX80 qui coûtait à l’époque 900 francs. Il fallait acheter pour 400 francs 16 ko de mémoire que l’on faisait tenir avec un bout de scotch. A ce moment, je n’avais pas assez de sous pour un Atari ou un Mac. C’est venu un peu plus tard. C’est sur un Mac que j’ai vu mon premier film QuickTime. C’était juste une femme nue qui dansait, mais j’étais halluciné de voir une véritable image vidéo sur un écran d’ordinateur.
Pourquoi le Mac plus que les PC ?
M.K.- (Il éclate de rire) Parce que le PC, ça n’a jamais marché. Et puis surtout, quand on était jeune, on avait le choix entre Windows qui était fait pour les tableurs et le Mac qui a été conçu pour les graphistes. Les musiciens sont arrivés après avec Cubase quand Amiga s’est retiré. Ils ont tous switché sur Mac. Le choix du Mac était naturel. C’est une machine ludique et orienté vers la création. Pourtant j’ai eu des PC. Je me suis acheté plusieurs Vaio avec un distributeurs de 200 DVD. Il n’a jamais marché ! Je continue d’en acheter pour me tenir au courant. Sur Vista, les upgrades sont incompréhensibles et chaque fabricants rajoute ses propres logiciels qui doublonnent et qui demande un niveau d’ingénieur pour les désinstaller. Je ne comprends pas la logique de Windows. C’est peut-être qu’il n’y en a pas.
Pourquoi ne pas installer Windows sur tes Mac ?
M.K.- Je me suis posé la question mais honnêtement, je n’utilise aucun logiciel PC. Par contre, en ce moment, j’installe Mac OS sur des PC. Je fais ça avec un type qui fait du montage et de la colorimétrie avec Color, le logiciel de colorimétrie d’Apple pour le cinéma. J’en ai besoin pour mon prochain film car je pense qu’on peut aujourd’hui tout faire sur une machine à part les CGI (Computer Generated images). On n’a plus besoin de machine dédiées à 100 000 dollars. C’est lui qui m’a dit qu’au lieu de dépenser 4 000 euros dans un Mac, on pouvait s’en fabriquer une pour 1 000 euros.
Quel est le but ? Tu as tout de même les moyens de dépenser ces 4 000 euros.
M.K.- Alors déjà, j’ai des sous quand je peux ! Ensuite, des Mac, j’en ai déjà acheté une trentaine et j’en ai marre de payer pour le design. Et puis, quand je sais que pour 3 000 euros de moins, j’ai une machine qui marche mieux, pourquoi me priver ? Les Mac ne devraient pas coûter aussi cher. On paye le design. Quand on ouvre un MacPro, c’est magnifique. C’est l’OS qui m’intéresse plus que le design. J’adore les nouveaux Mac, ce sont des machines magnifiques mais aujourd’hui, même HP fait de belles machines. Et puis, depuis Intel, les Mac sont des PC. Mais surtout, ce qui est intéressant avec les ordis, c’est le hacking. Il ne s’agit pas de piratage mais de pouvoir construire sa propre machine et ne pas être dans l’uniformisation totale.
Est-ce une manière de cultiver le « Think Different » ?
M.K.- OK mais alors soyons vraiment « Think Different ». Parce que si c’est pour acheter une machine plus performante tous les six mois et devoir transférer ses données à chaque fois, ça n’est plus « Think Different ». Ce qui est différent, c’est de pouvoir faire avec son Mac ou son iPhone des choses pour lesquelles ils n’ont pas été prévus. Mon but est d’utiliser les technologies, pas en devenir un esclave. Le problème d’Apple est qu’il ne permet plus cette liberté. Le seul but est de vraiment s’approprier une machine en craquant. C’est un peu comme le customisation d’une moto ou d’une voiture.
Ce genre de bricolage te passionne vraiment ?
M.K.- Oui, j’y trouve du plaisir, mais je ne peux y consacrer le temps que j’aimerais. Les gamins nous dépassent car ils peuvent passer des journées et des nuits à bidouiller. Chez moi, j’ai une pile de portables Apple qui ne servent plus à rien. Certains sont cassés, mais d’autres ont juste de petits problèmes. Pour les réparer, cela demande des semaines et je ne peux pas arrêter de travailler pendant ce temps alors je me reprends une nouvelle machine. Je sers un peu pour balancer du iTunes sur ma chaîne ou faire des diaporamas, tu vois, ça ne veut plus rien dire. En fait, ce que j’aime vraiment dans les ordis ce sont les interfaces. J’aimerais trouver l’interface parfaite de ce que devrait être l’interaction homme-machine. Avec un groupe d’amis, nous travaillons sur ce genre de chose. Ça fait longtemps que nous travaillons sur cette interface. Même sur Leopard, quand on voit les fenêtres ouvertes qui se superposent à l’écran, on à l’impression d’être dans les années 80. À cause de cela, les ordinateurs restent toujours un peu archaïques. Et je ne parle pas de la souris qui existe depuis 70 ans ni du clavier qui remonte à Gutenberg. Les machines sont plus belles, elles vont plus vite mais on perd toujours trop de temps à les manipuler.
Cependant, l’évolution te permet de partir avec une caméra et un MacBook et de rentrer avec un film.
M.K.- Oui mais malgré tout, quand je monte, j’ai en face de moi quelque chose qui n’est pas du tout organique. Que ce soit sur Avid ou sur Final Cut, il faut toujours utiliser la souris pour régler les pistes son et images, bref, il n’y a rien d’instinctif, d’ergonomique ou de naturel. On perd 70% de son énergie créative à faire tourner la machine.
Pourtant, le numérique a banalisé la réalisation de film. N’importe qui aujourd’hui, peut en faire un avec un caméscope et un ordinateur.
M.K.- C’est vrai. Et dans un an Sony et Panasonic sortiront des caméra en relief et dans deux ans elles seront en 2K et coûteront 5 000 euros à la Fnac et on pourra projeter ses vidéos chez soi sur un écran de 4 mètres. Ce que je veux dire c’est que ça ne s’est pas banalisé mais démocratisé. Mais ça ne veut pas dire que cela donne du talent.
Chez les professionnels, les conséquences sont-elles bonnes ou non ?
M.K.- Il y a du bien et du mauvais dans tout. L’intérêt des de savoir pourquoi on utilise une technologie. Le montage analogique n’a rien à voir avec ce que l’on fait. Aujourd’hui, il y a des plans d’une demie seconde. C’était physiquement impossible à l’époque. Il aurait fallu coller douze images avec douze autres, bref, c’était impossible.
Avec le numérique, des métiers risquent-ils disparaître ?
M.K.- Bien sûr. Dans mon cas, je pourrais me passer de monteur. J’ai les compétences, je connais les machines, mais il faudrait que je puisse rester douze heures par jour devant un écran. J’ai beau aimer cette profession, l’évolution conduit les réalisateurs à pouvoir monter eux-mêmes. C’est dommage car ce sont de vrais professionnels qui connaissent le langage du cinéma. À l’exception du CGI, on pourrait réaliser un film avec deux Mac. C’est arrivé à un point où l’on a même plus besoin d’aller mixer dans les auditoriums.
Es-tu aussi fan de l’iPhone que du Mac ?
M.K.- Oui, depuis son lancement. Je m’en suis acheté un à Los Angeles mais il ne marchait que sur le réseau AT&T. On a attendu que les premiers hacks sortent avec des cartes SIM qu’il fallait commander en Chine. C’était totalement dingue. Les Turbo SIM se vendaient à plus de 100 dollars sur eBay et ne valaient que quelques centimes. On a dû attendre le 11 septembre 2007 que la « Dev Team » sorte sa solution pour jailbraker les iPhone.
Un autre effet négatif est la dématérialisation qui a généré le peer-to-peer. Comment te positionnes-tu avec la loi Hadopi ?
M.K.- Je n’ai jamais rien dit sur le sujet mais pour moi c’est une connerie. L’industrie s’est baisée depuis qu’elle est passée au numérique. Ils n’ont pas vu que le VHS et la cassette audio, c’était très bien. À l’époque, je copiais des VHS avec deux magnétoscopes. La qualité se dégradait à chaque copie, mais c’était acceptable puisque gratuit. Avec le numérique, l’industrie ne s’est pas projeté dans dix ans avec un Internet dix fois plus rapide, des ordinateurs cent fois plus puissants et des DVD copiables en quelques minutes. J’en ai parlé avec Steven Spielberg et d’autres grands réalisateurs américains. Ils dépensent des centaines de millions de dollars afin de trouver une parade contre des petits mecs de 14 ans qui démonteront leur DRM en quelques minutes. Et puis Hadopi ne peut fonctionner car le vrai piratage se passe en se refilant des disques durs remplis de vidéos rippées. Et puis, il ne s’agit plus que de fichiers que l’on copie, déplace ou supprime. Ça ne veut plus rien dire. Pour finir, je suis désolé de dire à l’Hadopi qui, à travers le Sénat et l’Assemblée Nationale, dit « Si vous aimez les artistes, ne piratez pas », mais ce ne sont pas les artistes qui en prennent plein la gueule, ils perdent un peu mais sont encore très bien payés. L’Hadopi ne protège que l’industrie. Et puis il y a des films que ne se piratent pas. Les films en 3D comme Avatar ne peuvent se pirater car ça n’aurait aucun intérêt de les voir sans relief. Pareil pour les films de Jaoui et Bacri mais parce qu’ils s’adressent à un public qui ne pirate pas. Et enfin, les films à succès comme Spiderman ne vivent plus des entrées en salle mais de la vente de produits dérivés. À partir du moment où un film est amorti, il devrait être distribué gratuitement. Au lieu de faire de la répression, il devrait améliorer l’offre et la rendre accessible à tous.
Est-ce que tout cela ne participe pas à la désacralisation du cinéma ?
M.K.- En France, il y a 15 films qui sortent en salle chaque semaine. Les films se désacralisent eux-mêmes parce qu’on ne leur donne pas la place de vivre. Quand vous travaillez deux ans sur un film et que six mois après sa sortie, il est en vente dans les librairies à 2,90 euros avec un fascicule, le cinéma est désacralisé. Le seul moyen de lutter contre ce phénomène est de faire des bons films. Si tu fais un chef d’œuvre, il sera piraté, mais le public ira quand même le voir en salle. Mais en ce moment, les films ne sont que des produits de consommation. À force, les gens qui disposent de centaines de films sur des disques durs ne regardent plus rien. Je pirate aussi, mais cela me sert à me faire une idée sur un film. S’il me plait, je l’achète en Blu-ray pour me faire une vraie séance de cinéma à la maison.
Prince distribue ses CD lors des concerts ou offre des albums en téléchargement. Qui dans le cinéma fait ce qu’il fait dans la musique ?
M.K.- Je suis le premier à vouloir distribuer mes films gratuitement. Su Babylone où j’ai eu des problèmes avec la production, j’ai été à deux doigts de balancer le film sur Internet avant sa sortie en salle. Pour cela, nous aurions pu aller en prison. Bien sur ça allait trop loin et on ne l’aurait pas fait, mais l’idée était marrante. Tout ça pour dire que l’industrie s’est baisée elle-même alors ça ne sert à rien de taper sur des mômes de 15 ans. Et puis à 10 euros la place de ciné, à 30 euros le Blu-ray et à 20 le DVD, faut pas s’étonner des conséquences. C’est dégueulasse de leur mettre cela à portée de la main et de leur dire que c’est interdit. Le gamin qui est à 70 bornes d’une salle ou qui n’a pas d’argent, on lui dit « si tu télécharges District 9, tu vas aller en prison ». C’est juste dégueulasse. Je ne peux pas cautionner cela.
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