Première partie : Transmedia et création univers
Par David Peyron
Site : http://www.transmedialab.org/
Article original : http://www.transmedialab.org/2009/12/16 ... ulturelle/
Je vais présenter ici le processus de convergence culturelle, concept forgé par le chercheur américain Henry Jenkins[1], ses conséquences pour l’industrie culturelle et plus particulièrement comment on le retrouve dans le domaine du jeu vidéo.
Commençons donc par une première définition du concept. La convergence culturelle est un processus d’évolution industriel et social qui désigne des liens grandissants entre les médias et la capacité grandissante des consommateurs à appréhender ces interactions multimédiatiques. Ce concept est donc divisé en deux grands volets selon une dichotomie classique des réflexions sociologiques sur la culture : production et réception.
matrix2Le premier, est le fait que les producteurs d’œuvres, les industries culturelles et les auteurs eux-mêmes facilitent le passage entre médias, entre supports. Ceci en créant des oeuvres très référencées, transtextuelles, en s’inspirant des modes de narration, des thèmes et de la forme d’autres médias, et en envisageant souvent leur création comme un tout, un monde multimédiatique. L’exemple le plus fort est celui de Matrix qui n’a pas été conçu comme un film mais comme un monde fantastique transmédiatique, saturé de références à l’histoire du genre et dans lequel le jeu vidéo apporte autant d’éléments à l’histoire que les films, que la série de comics, ou que les courts métrages d’animation sortis à la suite. Ce sous phénomène d’œuvres multimédiatiques, conçues ainsi dès le départ est nommé par Jenkins « world making ». Le contexte de production de l’œuvre est donc assez spécifique et cela va influer sur celui de la réception.
En effet, le second volet interdépendant et symétrique est que pour appréhender, et saisir pleinement ce phénomène, il faut un public particulier, un public attentif, méticuleux, bref des fans qui ont un rapport de culte avec les œuvres. Dans le cadre de la convergence culturelle, le grand public peut avoir accès, comme c’est le cas pour Matrix, à tous les éléments mais, seul le fan multimédiatique assidu s’échinera à tous les rassembler et saisira toute l’intertextualité transmédiatique présente. C’est aussi la culture du public de niche, des diverses lectures et interprétations d’une même œuvre en fonction du fait de déceler ou non à quelle intertextualité elle fait appel et d’aller vers ses éventuelles déclinaisons. La culture de la convergence c’est aussi, on le verra, un public de plus en plus participatif et dont le rapport à l’œuvre sera aussi déterminé par le degré d’engagement vis-à-vis de l’objet.
Par exemple, un jeune lecteur de comics qui va voir un film consacré aux X-men, du fait de toutes ses références, et de ses connaissances des codes issus du premier support, n’aura pas la même expérience que ses parents n’ayant jamais ouvert un tel livre. Pour saisir les références de Matrix au cyberpunk et à la culture japonaise il faut un certain bagage culturel, ce qui n’empêche pas d’apprécier le film sans le posséder. De la même manière, beaucoup se spectateurs ont vu les trilogies Star Wars, mais peu auront pu noter que certains personnages secondaires ou planètes à peine mentionnées sont ensuite largement développés dans certains des jeux vidéo et romans issus de la franchise. Ces exemples montrent le rôle de la convergence culturelle dans l’évolution du rapport aux œuvres.
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[1] Henry Jenkins, Convergence culture, where old and new media collide, New York university press, 2006
Convergence culturelle : Transmedia
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Deuxième partie : Transmedia et déclinaison
Par David Peyron
Site : http://www.transmedialab.org/
Article original : http://www.transmedialab.org/2010/01/19 ... -partie-2/
D’autres concepts sont utilisés pour caractériser ce phénomène, mais à mon sens ils n’en rendent compte que partiellement. Certains parlent ainsi d’intermédialité, c’est le cas par exemple de Stefanelli et Maigret[1]. Ils analysent le lien croissant entre certaines séries télévisées et les comics, notamment Lost et Heroes, comme une preuve de l’intermédialité croissante de l’industrie culturelle. Pour eux, comme pour Jenkins, si ce processus est né dans certaines branches sous-culturelles des mass medias, il se renforce chaque jour un peu plus.
Ce concept rend donc bien compte de la construction actuelle de certains objets culturels. Et en effet, comment juger autrement l’inspiration narrative flagrante des comic books américains sur une série comme Lost ? Et la manière dont elle est déclinée sur de multiples médias en fait un exemple de « world making » réussi.
Cependant, le concept d’intermédialité, s’il est opératoire sur le plan de l’analyse narrative, et s’il met bien en exergue le double mouvement d’intertextualité transmédiatique et de récits eux-mêmes dispersés sur plusieurs supports[2], oblitère le deuxième volet du concept. En effet, nous sommes là dans une perspective interne, or l’avantage du concept de Jenkins est qu’il contient un volet social, celui du public, depuis le grand public qui n’accèdera qu’à un des volets de l’œuvre au fan assidu qui collectionnera toutes les extensions et en repérera l’intertextualité.
Prendre en compte ce public dans le phénomène de lien entre médias, permet d’en analyser la réception dans une continuité totale sans rupture. Cela permet aussi de repérer tout ce que John Fiske nomme les « tertiary texts »[3], c’est-à-dire les extensions et références faites par les fans eux-mêmes. Ce sont les machinimas, les mash-ups, les fanfictions, toutes ces productions non professionnelles, formes de « l’individualisme expressif » comme le dirait Laurence Allard[4]. Si l’on ne tient compte que des objets produits par l’industrie, on oblitère ainsi tout ce que le public lui-même peut produire à partir du matériau fourni.
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[1] Matteo Stefanelli et Eric Maigret, « la bd, nouvelle matrice des séries télévisées », dans Médiamorphoses hors série séries télévisées, Ina/Armand Colin, Paris, Janvier 2007, pp. 163-167
[2] A ce sujet voir aussi : Marie Laure Ryan, Narrative Across Media: The Languages of Storytelling, University of Nebraska Press, 2004
[3] John Fiske, « The cultural economy of fandom » dans L. A. Lewis (dir. ), The Adoring Audience, Routledge, pp.30-49, 1992
[4] Voir par exemple : Laurence Allard et Olivier Blondeau, Devenir média, l’activisme sur internet entre défection et expérimentation, Editions d’Amsterdam, 2007
Par David Peyron
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Article original : http://www.transmedialab.org/2010/01/19 ... -partie-2/
D’autres concepts sont utilisés pour caractériser ce phénomène, mais à mon sens ils n’en rendent compte que partiellement. Certains parlent ainsi d’intermédialité, c’est le cas par exemple de Stefanelli et Maigret[1]. Ils analysent le lien croissant entre certaines séries télévisées et les comics, notamment Lost et Heroes, comme une preuve de l’intermédialité croissante de l’industrie culturelle. Pour eux, comme pour Jenkins, si ce processus est né dans certaines branches sous-culturelles des mass medias, il se renforce chaque jour un peu plus.
Ce concept rend donc bien compte de la construction actuelle de certains objets culturels. Et en effet, comment juger autrement l’inspiration narrative flagrante des comic books américains sur une série comme Lost ? Et la manière dont elle est déclinée sur de multiples médias en fait un exemple de « world making » réussi.
Cependant, le concept d’intermédialité, s’il est opératoire sur le plan de l’analyse narrative, et s’il met bien en exergue le double mouvement d’intertextualité transmédiatique et de récits eux-mêmes dispersés sur plusieurs supports[2], oblitère le deuxième volet du concept. En effet, nous sommes là dans une perspective interne, or l’avantage du concept de Jenkins est qu’il contient un volet social, celui du public, depuis le grand public qui n’accèdera qu’à un des volets de l’œuvre au fan assidu qui collectionnera toutes les extensions et en repérera l’intertextualité.
Prendre en compte ce public dans le phénomène de lien entre médias, permet d’en analyser la réception dans une continuité totale sans rupture. Cela permet aussi de repérer tout ce que John Fiske nomme les « tertiary texts »[3], c’est-à-dire les extensions et références faites par les fans eux-mêmes. Ce sont les machinimas, les mash-ups, les fanfictions, toutes ces productions non professionnelles, formes de « l’individualisme expressif » comme le dirait Laurence Allard[4]. Si l’on ne tient compte que des objets produits par l’industrie, on oblitère ainsi tout ce que le public lui-même peut produire à partir du matériau fourni.
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[1] Matteo Stefanelli et Eric Maigret, « la bd, nouvelle matrice des séries télévisées », dans Médiamorphoses hors série séries télévisées, Ina/Armand Colin, Paris, Janvier 2007, pp. 163-167
[2] A ce sujet voir aussi : Marie Laure Ryan, Narrative Across Media: The Languages of Storytelling, University of Nebraska Press, 2004
[3] John Fiske, « The cultural economy of fandom » dans L. A. Lewis (dir. ), The Adoring Audience, Routledge, pp.30-49, 1992
[4] Voir par exemple : Laurence Allard et Olivier Blondeau, Devenir média, l’activisme sur internet entre défection et expérimentation, Editions d’Amsterdam, 2007
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Troisième partie : Transmedia et cross media
Par David Peyron
Site : http://www.transmedialab.org/
Article original : http://www.transmedialab.org/2010/01/26 ... -partie-3/
On peut faire quasiment les mêmes reproches à une autre expression très à la mode aujourd’hui, celle de « cross-media ». Cela désigne les croisements entre supports qui permettent de suivre des univers de manière multimédiatique. C’est ce que Jenkins nomme le « world making » dans le domaine de la fiction. Cette notion est encore plus biaisée que la précédente pour deux raisons.
Tout d’abord cross-media, est une expression qui renvoie uniquement à la dispersion des informations (publicitaires, fictionnelles), mais dans le cadre du concept de convergence, cette pratique n’est que la partie émergée de l’iceberg de la convergence. Comme , cela exclut le public, mais est évacué aussi tout le système référentiel dont fourmille la culture de masse et qui ne passe pas forcément par des développements multimédiatiques d’objets. Cela n’est pas du cross-media, mais sans ces liens, ces sillons creusés et entretenus, ce dernier n’aurait pas été possible.
Le second problème que pose l’expression cross-media est lié à ceux qui l’utilisent. Si la notion d’intermédialité est un concept bien défini et traité par des analyses universitaires, celle de cross-media est avant tout utilisé dans le domaine du marketing. On va créer une publicité pour la télévision, et une autre pour internet, afin de toucher différents publics, tout en faisant en sorte que ceux qui voient les deux trouvent un avantage au croisement. Cela renvoie aussi à la notion de marketing viral qui consiste à faire en sorte que ce soit les utilisateurs qui diffusent l’information au lieu de payer de coût de diffusion, cela en créant de l’émulation et de l’effervescence, ce qu’on appellera aujourd’hui volontiers le fameux « buzz ».
Ces développements marketing et industriels sont évidemment très intéressants à analyser, mais pour un chercheur il est un peu dangereux d’utiliser un vocabulaire endogène aux contours souvent flous tels que les expressions « buzz », « marketing viral », ou « cross-media ». La notion de convergence par son origine optique (des rayons qui convergent) permet ainsi de s’en tenir à une image efficace et qui inclut tous les phénomènes cités sans excès de néologismes. Néologismes qui cachent derrière leur nouveauté que cette évolution s’ancre historiquement dans la culture de masse et notamment dans la culture de genre (science-fiction, fantastique…) qui avec son public de niche, sous-culturel a expérimenté cela depuis longtemps. Cette dernière remarque permet par exemple de comprendre pourquoi certaines œuvres plutôt que d’autres sont plus présentes dans ce cadre. Cela incite aussi à penser la question de l’immersion dans les mondes fictifs, puisque ce ne sont pas n’importe lesquels qui sont sujets à des extensions ; et l’on sait que le public des mondes fantastiques a justement un rapport très immersif à ceux-ci et que c’est dans ces univers que la convergence reste la plus présente.
Par David Peyron
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On peut faire quasiment les mêmes reproches à une autre expression très à la mode aujourd’hui, celle de « cross-media ». Cela désigne les croisements entre supports qui permettent de suivre des univers de manière multimédiatique. C’est ce que Jenkins nomme le « world making » dans le domaine de la fiction. Cette notion est encore plus biaisée que la précédente pour deux raisons.
Tout d’abord cross-media, est une expression qui renvoie uniquement à la dispersion des informations (publicitaires, fictionnelles), mais dans le cadre du concept de convergence, cette pratique n’est que la partie émergée de l’iceberg de la convergence. Comme , cela exclut le public, mais est évacué aussi tout le système référentiel dont fourmille la culture de masse et qui ne passe pas forcément par des développements multimédiatiques d’objets. Cela n’est pas du cross-media, mais sans ces liens, ces sillons creusés et entretenus, ce dernier n’aurait pas été possible.
Le second problème que pose l’expression cross-media est lié à ceux qui l’utilisent. Si la notion d’intermédialité est un concept bien défini et traité par des analyses universitaires, celle de cross-media est avant tout utilisé dans le domaine du marketing. On va créer une publicité pour la télévision, et une autre pour internet, afin de toucher différents publics, tout en faisant en sorte que ceux qui voient les deux trouvent un avantage au croisement. Cela renvoie aussi à la notion de marketing viral qui consiste à faire en sorte que ce soit les utilisateurs qui diffusent l’information au lieu de payer de coût de diffusion, cela en créant de l’émulation et de l’effervescence, ce qu’on appellera aujourd’hui volontiers le fameux « buzz ».
Ces développements marketing et industriels sont évidemment très intéressants à analyser, mais pour un chercheur il est un peu dangereux d’utiliser un vocabulaire endogène aux contours souvent flous tels que les expressions « buzz », « marketing viral », ou « cross-media ». La notion de convergence par son origine optique (des rayons qui convergent) permet ainsi de s’en tenir à une image efficace et qui inclut tous les phénomènes cités sans excès de néologismes. Néologismes qui cachent derrière leur nouveauté que cette évolution s’ancre historiquement dans la culture de masse et notamment dans la culture de genre (science-fiction, fantastique…) qui avec son public de niche, sous-culturel a expérimenté cela depuis longtemps. Cette dernière remarque permet par exemple de comprendre pourquoi certaines œuvres plutôt que d’autres sont plus présentes dans ce cadre. Cela incite aussi à penser la question de l’immersion dans les mondes fictifs, puisque ce ne sont pas n’importe lesquels qui sont sujets à des extensions ; et l’on sait que le public des mondes fantastiques a justement un rapport très immersif à ceux-ci et que c’est dans ces univers que la convergence reste la plus présente.
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- Enregistré le : 09 Jan 2013 05:59 [phpBB Debug] PHP Warning: in file [ROOT]/vendor/twig/twig/lib/Twig/Extension/Core.php on line 1107: count(): Parameter must be an array or an object that implements Countable
Re: Convergence culturelle : Transmedia
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